Ô Verlaine by Jean Teulé

Ô Verlaine by Jean Teulé

Auteur:Jean Teulé [Teulé, Jean]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Julliard
Publié: 2012-08-13T01:44:56+00:00


49.

Les sanglots longs

Des violons

De l’automne

Blessent mon cœur

D’une langueur

Monotone.

Tout suffocant

Et blême quand

Sonne l’heure,

Je me souviens

Des jours anciens

Et je pleure ;

Et je m’en vais

Au vent mauvais

Qui m’emporte

Deçà, delà,

Pareil à la

Feuille morte.

50.

Un dessin apparut sur une page de carnet à spirale. Il représentait Verlaine, vu de dos, qui avançait ivre et titubant.

Le carnet tressautait entre les doigts de Cazals car il croquait son modèle en le poursuivant, à travers la place Saint-Michel, dans la nuit.

Les fleurs de gaz bleu des réverbères illuminèrent sur le papier le hachurage griffonné d’un gros manteau anglais rendu vénérable par l’âge et l’usage. À la nuque, une écharpe douteuse et déteinte sous les bords rabattus d’un sale chapeau de feutre mou écrasé sur le crâne.

— Mais Paul, qu’as-tu fait de ta pelisse neuve à col de loutre et du haut-de-forme ?

— Fourgué le tout à un tavernier contre quelques absinthes et les frusques dépouillées à un clochard mort d’une crise d’épilepsie au pied du comptoir !

— Mais Paul, les infirmières s’étaient cotisées pour toi…

— Raah !…

Boitant terriblement, Verlaine menaça du poing les façades d’immeubles et les étoiles. Il étonna la nuit par sa brutale majesté en filant vers sa cible en face – le point lumineux de l’entrée du caveau du Soleil d’Or (La Plume) au numéro un de la place.

Devant la petite porte, des lycéens de Condorcet se retournèrent, sourire aux lèvres, en le voyant arriver. Ils avaient espéré pouvoir assister au banquet mais c’était complet. L’autre chargea sur eux, agitant sa canne. Ivre somnambule, il tangua de tribord à bâbord. Derrière lui, le grand rire du dessinateur :

— Attention, Paul, tu vas louper l’entrée !

Et Cazals l’attrapa par le bras pour le guider. Tous les lycéens s’écartèrent. Un puissant parfum d’absinthe les traversa au passage de l’idole en ruine d’habit de clochard mort.

Au sous-sol du Soleil d’Or, les tables avaient été disposées en « U » et, près d’une place vide, Deschamps présidait, faute de Verlaine :

— On aurait dû s’en douter.

— C’est de ma faute, s’excusa Frédéric-Auguste en se levant. J’ai eu tort de le laisser seul. Je vais tenter de le retrouver.

Le dîner composé d’un plat unique – le plat canaille – était terminé depuis longtemps. Finalement, tout le monde l’avait trouvé bon bien que ça leur donnât une haleine de furet (le bœuf mêlé aux harengs saurs, les oignons crus…) et puis c’était très épicé. Des jeunes filles aux yeux rouges agitaient des mouchoirs en dentelle devant leur bouche. Les pierrots rafraîchissants disparaissaient dans les gorges adolescentes tandis que Léon Deschamps comptait les pièces et les billets de la cotisation :

— Tout à l’heure, quand je vous attendais sur le trottoir, deux hommes discrets… Je suis sûr que c’étaient des policiers en civil… ont posé leurs mains sur mes épaules. L’un des deux m’a donné un billet en disant : « Voilà cent francs pour la cotisation…» L’autre, en caressant ma chapka groseille, a rajouté : « C’est de la part d’un admirateur…» Quand je leur ai demandé « Qui ? », ils sont repartis en silence.



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